jeudi 1 mai 2008

DECOUVERTES





Un camion vient de nous déposer à la gare d’Oran, chacun a une destination différente et nous nous séparons. Je suis seul sur ce quai de gare en attente du train en direction de Marnia .Il y a un peu d’attente. C’est la première fois depuis mon départ d’Allemagne que je me retrouve ainsi isolé. Dans ce pays en pleine insécurité, que faire ? Ou me mettre pour être le plus discret possible parmi tous ces civils ? Sont-ils amis ou ennemis ? Questions qui se poseront désormais en permanence





Ouf, voilà le train ! Drôle de train, il pousse deux wagons plate-forme chargés de sable pour faire exploser les mines devant lui si besoin était. La ligne a pourtant été ouverte le matin, par un convoi spécial sans voyageurs.
Quelques civils : femmes voilées avec des enfants, quelques paysans en djellabas et turbans, des « pieds noirs » habillés à l’Européenne, tous venus à la ville pour des achats, en témoignent les sacs et les paquets qui les accompagnent…Des voyageurs ordinaires en somme !

Des militaires en tenue de brousse et bien armés, eux, assurent l’escorte du train. Je suis seul parmi eux, avec ma tenue d’hiver, tel un bleu qui arrive du pôle nord avec son paquetage.

Peut-être y a-t-il parmi ces arabes un terroriste qui observe ou qui renseigne. Peut-être va-t-il laisser une bombe quelque part, qui explosera après son départ ?


Malgré ces craintes, je suis très étonné par ce paysage qui défile près de moi. C’est surprenant de voir les poteaux téléphoniques coupés, certains rafistolés pour tenir encore debout. Les petites gares ou nous arrêtons sont fortifiées : des sacs de sable devant certains endroits exposés, des ouvertures barricadées. Je découvre ces grandes plaines couvertes d’oliviers ou d’orangers, voire de vignes, et puis toujours au-delà ces montagnes ocres éclairées par le soleil de cet après-midi d’hiver où il fait beau. N’étant pas venu en vacances, j’ai hâte de retrouver une situation plus stable après ce long voyage.





MARNIA : Terminus. Personne ne m’attend, bien entendu. Alors des militaires sont là. Un grand noir, de surveillance derrière ses sacs de sable m’indique la direction d’une caserne toute proche.

Il faudra y passer encore une nuit, la liaison journalière avec la ferme où je suis affecté est partie il y a peu et ne reviendra que demain après-midi.
On me donne un lit en toile et deux couvertures, c’est ainsi que je découvre que les nuits sont très froides. Je dormirai peu.



Dernière partie de cet interminable voyage le lendemain et me voilà enfin installé dans une ferme qui a du être riche et prospère. Elle est devenue un poste militaire. Le propriétaire s’est réfugié en ville, l’insécurité étant devenue trop grande. Il y a peu d’activité agricole. Seules des étendues plantées d’oliviers subsistent, comme abandonnées. Le paysage est d’une beauté sauvage qui me séduit : un plateau immense, rocailleux, sur lequel des chemins serpentent parmi les rocailles et des collines dénudées. Une route goudronnée nous relie à la ville, qui bien que située à une vingtaine de kilomètres nous semble proche. C’est notre lien avec le monde civilisé.



Des réseaux de barbelés entourent notre « résidence ». Des casemates et quelques petits fortins ont été construits pour héberger les hommes de garde la nuit, et aussi pour assurer notre défense en cas de besoin. Nous logeons sous de grandes guitounes en attendant les préfabriqués promis. Les bâtiments de la ferme, comme il se doit, sont occupés par les gradés et quelques bureaux.


Je suis bien accueilli par ces camarades que je ne connais pas. Ici pas de bizutage ou autres « rites d’intégration » déplacés. On me donne mon équipement, un lit une paillasse…et bien sur un fusil et des munitions.
Ce qui me frappe de suite, c’est la gravité des visages : la tension est palpable.

Nous sommes situés à une portée de canon de la frontière, des bandes rebelles, entraînées et équipées au Maroc, la franchissent fréquemment et entrent en territoire algérien pour participer à la guerre de libération. Une section de notre « batterie[1] »a été accrochée il y a quelques jours, des copains sont morts. Les « hélicos » n’ont pu venir à temps pour évacuer les blessés. Durant de longs mois, notre vie sera ainsi faite de tristes évènements, de bons moments entre nous, d’attente de relève et parfois de cafard.


[1] On nomme ainsi une compagnie dans un régiment d’artillerie.

1 commentaire:

Frédéric Baylot a dit…

Je continue petit à petit ma lecture
Tu as une belle écriture bien agréable
et une façon simple de faire passer les émotions qui en fait donne de la force au texte

amitié