jeudi 1 mai 2008

JOUR DE FETE


Les occasions de se distraire sont bien rares. Notre vie est rythmée par le service , la garde, les opérations militaires. Il y a de l’animation ce samedi après-midi : que de visages basanés et enturbannés, que de djellabas et d’habits militaires rassemblés autour du seul marié !

La mariée est restée au gourbi avec les femmes. On ne se mélange pas, les traditions sont très respectées ici. Le marié, lui, aura pris soin ce matin de montrer les preuves de la virginité de sa nouvelle femme ! En avait-il déjà une ne lui ayant pas donné de descendance ? Ou trop peu ? Mystère. Sa solde de harki lui aura permis de répudier la première et d’en « acheter » une autre, jeune de préférence, qui elle lui donnera beaucoup d’enfants. Allah le souhaite ainsi !

Je suis là, bien sûr, avec me amis, surpris que nous sommes par la présence à la fois de nos gradés et de bien des visages indigènes connus. Mais qui sont-ils donc ? Je les voyais jusqu’alors sans y prêter attention : les interprètes, les préposés aux renseignements, les employés ( anciens prisonniers restés faire nos corvées, nos repas et ne pouvant retourner au bled pour bien des raisons), quelques détachés d’une compagnie muletière ( ils s’occupent des « brêles »que nous emmenons en opération), l’épicier voisin, l’employé de nos gardes forestiers et ses enfants….

C’est la fête au village et c’est sympa. Bravo, c’est presque la fraternisation que tout le monde attend ou souhaite sans le dire.
Cerise sur le gâteau, le ciel est bleu et le soleil brille.

Nous allons et venons, saluant l’un et l’autre. Que se prépare-t-il donc ? On remarque les airs entendus de certains, mais on s’interroge.

« Bonjour ! » C’est Abdel, un « muletier » que je connais bien pour l’avoir aidé à mener quelquefois ses mules récalcitrantes chargées de nos postes radio lors des opérations.
« Tu sais, chef, me dit-il, ( c’est un terme familier), on va avoir la fantasia. Les harkis sont arrivés hier soir et ils se préparent. »

Nous le suivons. Un peu en dehors du camp, un immense espace défriché a été préparé pour l’occasion. On aperçoit en effet au loin les cavaliers qui attendent. C’est la première fois que j’assiste à ce spectacle qui se veut simuler un assaut militaire de cavalerie. Celui-ci se termine par une salve de fusil tirée par les cavaliers au galop.
Plusieurs parades nous sont offertes. Nous admirons à la fois la beauté des animaux et l’adresse de ces hommes. D’ailleurs tous le savent et sont fiers de perpétuer cette tradition.




Je pense cependant que le spectacle qui nous est offert n’est pas dénué d’arrières pensées: propagande, démonstration de force, intimidation des populations locales qui ne sauraient choisir le bon parti :Celui du plus fort bien sur !… Enfin, c’est de « bonne guerre », puisque ces populations subissent aussi de multiples pressions de la part de l’autre partie.
Dimanche, autre surprise, car en effet on les découvre au fur et à mesure. Les arabes sont pour une fois les maîtres d’œuvre, qui ne s’en réjouirait ?

Une activité fébrile règne autour de la bicoque qui fait office d’épicerie arabe, de moulin à blé et sans doute aussi de « chouff » ( guet) à notre détriment. Nous y allons parfois acheter une paire de chaussures locales fabriquées avec de la toile et des morceaux de pneus de voiture en guise de semelle. Ce gourbi, c’est une caverne d’Ali Baba. Il est sombre, sans fenêtre, avec un sol en terre battue. On y est toujours agréablement reçu, commerce et hospitalité locale y font loi. Le thé à la menthe à portée de main.



De bon matin, les moutons ont été égorgés suivant le rite approprié. Ils sont prêts, vidés, dépouillés et embrochés tels des poulets sur de grandes perches de bois. A quelque distance, un grand feu de branchages est alimenté en permanence par une petite équipe. Il faudra beaucoup de braise pour mener à bien la cuisson des moutons : le méchoui se prépare.


Quelques heures à tourner ces perches vont être nécessaires pour griller les bêtes comme il convient. Un pinceau, fait de la laine des moutons, et manié avec grand soin, imprègne cette viande d’huile et d’épices juste à l’endroit nécessaire et au moment convenable. Ce sera succulent.

Tout se passe dans le calme et la bonne humeur, j’allais dire la paix. Une bonne odeur se répand en même temps que la fumée, créant dans tout l’espace une ambiance douce et
feutrée. L’été indien en quelque sorte… Un lieu de palabres, de rencontres et de convivialité, hors du temps. J’observe les visages. Ils sont presque joyeux, en tout cas sans agressivité. Tous profitent du moment présent.


« Tu ne trouves pas, me dit mon ami M… ,que tous ces pauvres bougres sont « de notre côté » par obligation plus que par choix ? Ils ont trop parlé avec cette putain de « Gégène » et choisi la tranquillité du moment. Ils ont ainsi trahi leur pays, qui sera bien indépendant tôt ou tard.

- Pour moi, lui répond J…, oui, ils trahissent toujours quelqu’un : soit les Français quand ils renseignent ou accueillent les fellaghas, soit ces derniers quand ils le font pour les Français.

- Eh bien oui !C’est une situation impossible. Ces braves gens sont les victimes d’évènements qui les dépassent. Victimes de notre colonialisme qui au fond ne les dérange pas outre mesure. L’essentiel pour eux étant d’assurer leur survie quotidienne… »

Chacun eut sa part du festin. Il dura une grande partie de l’après-midi. Quelques petits malins auront très discrètement accompagné ce fameux mouton du cru d’un super Mascara du cru lui aussi ! Petits bonheurs fugitifs.

Pourtant, des tâches pénibles m’attendent encore, qui vont être en contradiction totale avec les instants paisibles que je viens de vivre.

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