mardi 29 avril 2008

OPERATIONS REGROUPEMENTS




La guerre qui est menée, ces années 1957-1958, est encore assez conventionnelle. Basée souvent sur l’exploitation du renseignement, elle met en oeuvre des moyens importants et lourds. Ce ne sont pas encore des interventions de commandos héliportés et rapides, comme ce sera le cas plus tard. Alors nos actions importantes dans le bled se traduisent par de grandes « opérations », impliquant plusieurs régiments du secteur.
Ce sont d’abord des opérations d’encerclement à grande échelle d’un secteur, de douars, d’une montagne ou de grottes où sont supposés se cacher les fellaghas. Le « bouclage » une fois terminé, il est procédé au « ratissage ». Comme son nom l’indique, il consiste à fouiller systématiquement tout ce qui se trouve sur le passage de troupes dans leur marche vers leurs objectifs.
La mise en place de ce dispositif n’est pas très discret et les guetteurs ont dû souvent donner l’alerte lors de notre départ du camp


REGROUPEMENTS :


Ce jour-là, un dimanche je crois, c’est la fin du printemps, il ne fait pas encore très chaud. Le barda habituel, bien que plus léger, est chargé dans les camions. Nous partons tôt, il est vrai, mais seulement pour la journée.
Je ne suis ma fois pas mécontent de sortir de ce camp où les journées sont parfois monotones.
« Je te fais remplacer à la garde ce soir, » me dit le lieutenant que je dois accompagner avec mon poste radio durant la « ballade ».
Toujours ça de gagné, me dis-je, vu mon peu d’attrait pour cette garde nocturne
« Tu emporteras, comme à l’habitude, ton matériel de dépannage et quelques piles de secours. »
Le matériel est vieux, il est vrai, et plutôt fragile. Il est aussi très lourd et consomme beaucoup de piles. Les premiers transistors font leur apparition sur quelques petits postes radios civils, des veinards en ont rapporté de permission et nous sommes surpris par leurs dimensions si réduites.

Partis pour peu de temps, nous n’avons emmené ni « prisonniers-mulets » pour porter nos postes ( 15 à 20 kilos), ni mulets bâtés pour le reste. La course sera courte sans doute. Où allons-nous, et faire quoi ? Mystère.

« Nous devons sécuriser un secteur de notre 3èmebatterie, me dit le lieutenant en cours de route. Et toi, tu suis le patron avec Robert durant l’opération. » Ce n’est pas très tranquille, il faut avoir l’oreille, les liaisons ne sont pas toujours très bonnes. Il y a peu de répit. Enfin, le colonel est très sympa et compréhensif vis-à-vis de nous, les appelés. Hélas ce n’est pas lui qui est là aujourd’hui, c’est le commandant. Il est lui, plus « règlement-règlement », et plus distant.

C’est la fin de la piste, les véhicules se garent, ils resteront sous la protection des chauffeurs (les veinards) et de quelques copains.
A nous, le petit djebel, les sacs, le poste radio et les caillasses de la piste. Vive la randonnée ! Nous marcherons ainsi quelques heures, entrecoupées de petites haltes. Attention à ne pas vider notre bidon d’eau trop vite !

ON VIDE

Je ne savais pas ce que nous venions faire, mais l’écoute radio aura tôt fait de me renseigner :
En effet, du promontoire où nous nous sommes arrêtés, on distingue nettement dans cette immense vallée quelques douars disséminés ça et là. Des camions militaires sont sur place, il y a beaucoup d’animation autour. On y fait monter bon gré, mal gré les habitants du village chargés de leurs maigres balluchons. D’autres attendent derrière leurs animaux l’ordre de partir.
« Eh bien, me dis-je, aujourd’hui, si on les embarque, c’est sans doute qu’ils ont fait quelques co…... ». Je regarde ces pauvres gosses qui doivent subir une fois de plus la violence ambiante.
Fatigué, je laisse un moment le Commandant et les copains qui assurent la protection, je vais aller rejoindre Robert, qui sur une grosse touffe d’alfa qui lui sert de siège, se repose de notre longue marche. Il suit les opérations sur les ondes.
« Où va-t-on les mettre ? » me dit-il, comme si tous ces braves arabes n’étaient que du matériel à stocker.
Ils vont probablement être regroupés dans cet espèce de village de pierres et de branchages que les prisonniers construisent près de notre camp
« Ce n’est pas possible, qu’on les mette dans ces espèces de bouis-bouis infâmes, on y mettrait même pas nos vaches. » Et il s’y connaît, lui, le gars du terroir.

Fatigué, et tout à mes réflexions, je quitte mon harnachement et laisse plus loin fusil et cartouchière. Je m’assois près de lui ? Cela fait du bien, ce moment de répit. Quelques blagues échangées, et quelques gorgées d’eau tiède. Brusquement, tiré de ma torpeur, je sursaute. Un petit serpent sur lequel je suis sans doute assis sort de la touffe d’herbe, lui aussi expulsé. Mais cette fois, c’est moi qui ai peur un instant…
« Il aurait pu te les bouffer ! » s’esclaffe Robert.

« En tous les cas, vous aurez tous les deux huit jours ! Vous aurez ainsi le temps de réfléchir à votre attitude incompatible avec notre travail. » C’est le commandant « pète sec » qui nous tire de notre instant de détente. Il nous gratifiera en effet de huit jours de prison au motif de « négligence dans la surveillance de nos armes ».

Pour les cas graves, les punitions se font « au trou »à la caserne de la Légion Etrangère ( et là, quel régime !).Pour ce qui nous concerne, pas de prison, ce sera noté sur notre dossier. La prison étant un peu notre lot quotidien il est vrai…


ON BRÛLE

Personne ne doit rester sur place. Ces douars seront détruits. Si l’envie en était venue à certains, des dissuasions simples existent : on met le feu au « gourbi » et quelques obus de mortier bien placés suffisent…

La sanction nous a ramené à la dure réalité. Nous regardons, Robert et moi, ce beau paysage dénaturé par les incendies. Les soldats qui ont effectué les expulsions dans les villages viennent de mettre le feu aux « gourbis ». Cette ambiance que je regarde me rend triste. Cette ambiance de guerre et de souffrances n’est pas sans me rappeler tristes souvenirs de mon enfance.


ON REGROUPE[1] :

Nous sommes rentrés par le même chemin, un peu dépités, la bataille contre ces gens sans défense fut vraiment sans gloire…


On verra dans quelques jours arriver les premiers réfugiés. Près de notre camp, un village de miséreux va voir le jour.

Des villages en dur seront construits par la suite.
Les SAS seront alors « en action », et sous la protection de l’armée française et des harkis, elles veilleront à faire de tous ces braves musulmans de bons sujets de la France.

Pour nous, tout ne fut pas terminé ainsi. Quelques jours plus tard, nous sommes retournés sur
la zone pour allumer le plus gigantesque incendie que j’ai connu. Des hectares brûleront.
Le secteur sera ainsi devenu totalement inhospitalier et plus facile à surveiller. On tirera sur tout ce qui bouge, ce sera la zone interdite. Le rebelle n’y sera plus comme un poisson dans l’eau.

[1] . CAMPS DE REGROUPEMENT.

La question des camps de regroupement reste une tragédie méconnue mais des plus importantes de la guerre d’Algérie. C’est en février 1959 que Michel Rocard, alors jeune inspecteur des finances, remet un rapport (qui lui a été officieusement demandé) au délégué général en Algérie. Ce rapport l’informe sur la réalité des camps de regroupement dans lesquels sont parqués plus d’un million de villageois, dont plus de la moitié sont des enfants. La mortalité infantile est effrayante, évaluée dans le rapport à près de cinq cents enfants par jour.
Ce rapport est publié en partie dans la presse au mois d’avril 1959. Un livre : « Rapport sur les camps de regroupement et autres textes sur la guerre d’Algérie » de Michel Rocard paraît le 27 mai 2003.
Il y aura environ deux millions de personnes regroupées à la fin de la guerre.

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