mercredi 2 avril 2008

RETOUR DE PERM.

Je suis un peu triste sur les quais de Port-Vendres, il fait un temps superbe, le bateau est là, il part à la mi-journée. Permission terminée, je rentre. Cette courte période en France m’a permis de retrouver les miens après plus d’un an d’absence. Tout semble aller bien à la maison. Le père se remet apparemment sans trop de soucis d’une grave opération cardiaque.
Nous avons peu parlé avec les parents de ce qu’est ma vie de militaire. Je suis resté très prudent, pour qu’ils ne puissent imaginer ce que sont les « évènements d’Algérie » comme on dit : ils ont simplement un fils qui participe aux « opérations de maintien de l’ordre »
Ils ont peu d’informations, la télévision n’est pas répandue ici. Tant mieux ! Ce sera durant des années ainsi : le silence. Nous, les appelés, resterons muets, culpabilisés et mal compris, n’osant parler vraiment de la réalité. Personne ne nous demandant d’ailleurs rien…

Pour l’instant, je profite de cette fin d’août 1957 pour visiter un peu la petite ville de Port-Vendres et découvrir cette ambiance du sud que je ne connais pas. J’apprécie, et je me promets d’y revenir en civil visiter cette belle région.

Mer d’huile pour la traversée. Nous avons des couchettes superposées, c’est presque du tourisme.
Ce matin, je me lève assez tôt, curieux que je suis de suivre l’atterrissage par ce beau matin d’été. Appuyé sur le bastingage à l’avant du bateau, je distingue dans la légère brume à l’horizon les reliefs de la côte qui vont bientôt se préciser. Je goûte l’instant, à la fois attentif aux vibrations de vie du bateau, et au lent bercement de la houle qui l’accompagne. Quelques oiseaux de mer nous survolent. Hier soir, ce sont les dauphins qui ont fait la fête à l’étrave de ce curieux poisson d’acier. C’est un instant de calme, je me sens bien.

Le pont va bientôt se garnir de petits groupes. Et entouré de collègues en kaki, je vois petit à petit grandir notre port de destination : sa colline de Santa-Cruz (9), puis le port maritime, ses quais et ses bâtiments de service. La vie enfin, les hommes, les voitures et la réalité : La guerre et encore une année ici. Que ça me semble long!

(9) Cette colline haute de quatre cents mètres domine le port. Y sont construits un fort et une chapelle. Celle-ci fut longtemps un lieu de pèlerinage en remerciement à la vierge d’avoir sauvé la ville du choléra en faisant pleuvoir. La véritable statue (celle qui était sortie en procession) est exposée dans la chapelle de l'évêché d'Oran prés de la tombe de Monseigneur Claverie, assassiné par des terroristes dans cette chapelle.





 



Oran est vraiment une ville magnifique et séduisante. Nous profitons du soleil, du spectacle, de la mer si bleue, et des côtes escarpées. Rue et ruelles, où l’ombre est bienvenue, nous accueillent pour une flânerie gaie et colorée.
C’est pourtant l’époque de la bataille d’Alger(10) , dont les échos nous parviennent un peu ici. Les attentats à la bombe n’ont pas encore frappé Oran dans ses cafés, restaurants et lieux publics.

Les infos que nous avons d’Alger nous laissent à vrai dire indifférents. Il est difficile pour nous de distinguer la vérité de la propagande. Nous ne pouvons croire que le démantèlement de la tête de la rébellion fera cesser les exactions et les attentats. Le pays est si grand et le maillage terroriste imposé souvent par la terreur n’est pas prêt d’être démantelé, lui.

Je suis malgré tout assez nostalgique et le mal du pays se fait déjà sentir en rentrant à la caserne en soirée.

Pour rejoindre mon lieu de résidence habituel, il va falloir emprunter diverses liaisons. Un point de passage important : Saint Denis du Sig(11) . C’est là qu’un convoi se forme pour rejoindre Mascara. Il faut en effet franchir les monts de Béni Chougrane et ce djebel est vraiment trop mal fréquenté pour laisser le passage ouvert à toute heure du jour. Un départ s’organise chaque jour matin et soir pour assurer la sécurité du voyage : véhicule blindé à l’avant et à l’arrière, des camions, voire des voitures civiles au centre, et un avion dans les airs pour assurer la surveillance des alentours, et cela sur une cinquantaine de kilomètres.


Pour le moment, le convoi du matin est loin et nous devrons patienter quelques heures avant le prochain départ. Que faire dans cette petite ville du bled ? A bien y regarder, toutes ces petites villes se ressemblent, et me rappellent celles qu’on appelle chez nous « les petites villes de province » : places ombragées où il fait bon se retrouver pour jouer aux boules ou
discuter, la gare, la mairie sur la grand’ place, le monument aux morts, et souvent un kiosque à musique. Nous sommes en pays musulman, et il y a aussi le quartier arabe et sa mosquée, ses enfants pleins de vie et jouant bruyamment, femmes voilées vacant à leurs occupations, hommes en djellaba, le plus souvent assis à terre et observant le passant d’un air absent

[10] : cf annexe.
[11] : Saint Denis du Sig comptait à l’époque 15 000 habitants, donc un quart d’européens.











C’est ainsi que je me laisserai surprendre à goûter le charme de l’endroit. Je crois que moi aussi, comme les « pieds noirs », j’aurais apprécié de vivre dans ces petites cités ou bourgades que je connais si peu, il est vrai : Mascara, Palikao, Thierville, Cacherou… Cités agricoles vivant jusqu’alors au rythme des récoltes et des saisons.

Voilà, je reviens à la réalité. Ne pas oublier malgré tout que sous des apparences heureuses, le quotidien est dramatique pour certains : malnutrition, maladies, analphabétisme, sans oublier un climat d’insécurité permanent.
Mon sac est lourd, le soleil qui chauffe me ramène à plus de réalisme. Une terrasse ombragée m’accueille pour un rafraîchissement. C’est un lieu d’observation idéal, je m’y installe avec plaisir. Pas de femmes arabes en ces lieux, elles ne se mêlent pas aux hommes, et il en est de même partout dans les villes. Cependant, têtes enturbannées et coiffes européennes se côtoient, échangent quelques mots. La plupart se connaissent de toujours. Une bonne odeur de cuisine mêlée à celle de l’anisette, me met en appétit. Une « frita(12) » est au menu. Pourquoi pas ? Quelques merguez accompagnées d’un petit rosé bien frais du cru local, pourquoi pas ma fois.

Dégustant tout cela, mon regard est attiré par un petit groupe de militaires qui déambulent sur la place : une patrouille de « territoriaux(13) » qui fait sa ronde. Equipés de vieux fusils Lebel, plus adaptés à la guerre de tranchées qu’au combat de rue, les quatre hommes qui la composent ont pourtant un air martial qui ne ressemble pas à leur équipement. Ils ne font peur à personne, mais rassurent la population : dormez en paix, braves gens !

[12] : Plat préparé à base de poivrons, tomates, oignons et huile d’olive. Accompagne l’agneau, le poulet, des œufs cassés cuits sur les légumes.
[13] Unités de « pieds noirs » prélevés dans toutes les classes de la population civile pour seconder l’armée dans les tâches urbaines. Il est évident que les « territoriaux » ne pouvaient avoir d’autre slogan qu’ « Algérie Française ». On leur demandait de la défendre. Après le 13 mai 1958, ils ajoutèrent au slogan la croix de Lorraine. Plus tard, ce sera le drapeau noir de l’O.A.S.
( Extrait de Historia Magazine, La guerre d’Algérie, n° 231)



ATTENTE


« Départ du convoi, 16 h, place de l’église ». M’y voilà arrivé, après une petite ballade digestive J’ai encore du temps pour une nouvelle pause, mais que faire ? L’église, mais voilà ! Un lieu bien calme pour d’autres nourritures. Ici, tu seras en sécurité, il y a si longtemps que tu n’en as pas franchi le seuil.

Je m’assois dans cette église sans style, des générations de « pieds noirs » ont dû s’y succéder, qui y ont installé statues, ex-votos, drapeaux, souvenirs de pèlerinages…

Je m’assois et me laisse pénétrer par l’ambiance du lieu. Il règne ici une fraîcheur agréable dans cette pénombre propice au recueillement. Les bruits extérieurs me parviennent atténués. L’odeur qui flotte dans cette église m’est familière. Elle me rappelle ces lieux fréquentés dans mon enfance où les célébrations me semblaient interminables. Je m’évadais alors restant simplement attentif aux repères pouvant m’en indiquer la fin.

Me laissant porter par l’atmosphère, je me surprends à prier ce Dieu qui est le même que celui qu’on prie de l’autre côté de la mer. Qu’il mette donc fin à ce conflit avec ces musulmans, des croyants, eux aussi, et qu’Il me garde en vie. S’Il pouvait également mettre fin à ces interminables et si fréquentes gardes de nuit qui m’attendent…


***********

Seize heures. Le convoi se forme. J’embarque dans un 4x4. Quelques militaires assis à mes côtés, j’attends le départ, observant ce qui se passe autour de moi d’un œil distrait. L’heure chaude du midi passée, l ‘animation commence à se manifester : quelques attelages agricoles, quelques bourricots portant des charges dans leurs paniers, ou des cavaliers battant de leurs jambes les flancs de leur monture pour marquer la cadence. C’est alors que deux femmes européennes s’approchent du véhicule. Qu’elle n’est pas ma surprise quand l’une d’elle me déclare à brûle pourpoint :

« - Quel âge avez-vous ? Comme vous semblez jeune ! » Etonné par cette question, je ne sais que répondre. Toutes deux nous dévisagent, mes voisins et moi.
« - Vingt ans », lui répondis-je sèchement, vexé sans doute de paraître encore adolescent alors que le seul fait d’être là aurait du lui signifier clairement que j’étais un adulte maintenant.

Notre conversation en resta là. Elles poursuivirent leur chemin, voyant qu’on ne parlerait pas plus, les uns et les autres. Si nous étions là, n’en portaient-elles pas en partie la responsabilité ? J’ai cherché quels sentiments chez elles avaient pu motiver cette question : simple interrogation, réaction de mère devant le spectacle de ces camions attendant le départ vers le bled et ses embûches. Peut-être l’image de leurs enfants ? Etait-ce la crainte que la Mère Patrie n’ait plus assez d’hommes mûrs pour faire la guerre ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La photo de la station esso a disparue?