vendredi 4 avril 2008

CHANGEMENT DE DECOR



En ce début de printemps 1957, nous devons quitter notre ferme. Peu à peu devenue plus hospitalière, elle sera occupée par d’autres militaires.
Où allons-nous ? Mystère… La Grande Institution aime s’entourer de ces secrets sans importance. Ce serait bien en ville, certains se voient déjà en poste sur la côte. L’été est chaud par ici. Par contre, la France n’est pas au programme, c’est sûr.
Surprise, après un long voyage en camion sous la pluie, nous stoppons à proximité d’un bois,. Traversé par une route allant vers rien …Le village semble abandonné et nous allons l’investir peu à peu, y découvrant une certaine vie que nous partagerons avec quelques musulmans et des « pieds noirs » fonctionnaires. Son nom : Nesmoth. Ce village fait partie de la petite commune de Cacherou, située à quelques kilomètres du douar où naquit l’émir ABDELKADER.





Le lieu ayant servi en temps de paix de colonie de vacances, les bâtiments inoccupés nous seront bien utiles. En attendant, tout est à installer, et nous logerons à nouveau sous la tente. Nous découvrons un endroit curieux fait de constructions disparates : quelques gourbis et mechtas, des logements de fonction, une ferme, une mini-école abandonnée et les locaux de la « colo » autour d’une cour centrale, comme il se doit.



Des arbres, une forêt courant à l’horizon d’un côté de la route, la ferme de l’autre, ce sera difficile à garder, tout cela. La ferme fera fonction d’infirmerie et de logement pour le toubib et les infirmiers. L’ancien fermier viendra de temps à autre nous raconter, avec une certaine nostalgie, les temps heureux où, avec les employés arabes, il travaillait en bonne entente, sachant parfois être « exigeant ». Il les connaissait bien, ces employés, puisqu’ils vivaient à proximité avec leurs familles.

Et se livrant alors :
« Il n’était pas interdit que nos enfants jouent ensemble. Les animaux ont toujours attiré les enfants. Que de jeux avec les ânes, calmes et obéissants, les courses se terminant souvent par une chute… mais quel plaisir ! Les moissons et les vendanges rassemblaient tout le monde pour des tâches rudes et pourtant gratifiantes. Sans doute n’avions nous pas tous le même bénéfice, mais enfin, c’était ainsi !
. Et puis, les fellaghas sont venus, semant la terreur, parlant d’indépendance et de justice. Nous, les « pieds noirs », nous sommes réfugiés en ville, en métropole pour les plus riches. Les grandes exploitations ont été laissées à la charge de quelques intendants ne faisant que passer…Les employés arabes sont restés, livrés aux pressions des fellaghas, qu’il fallait héberger, ravitailler et renseigner. »
« Allez, je vous ai apporté une bonne petite bouteille de Mascara de ma réserve, vous allez voir ce que le terroir nous fait de mieux ici. »

Petit à petit, ses visites se sont espacées, puis nous l’avons oublié, rien ne subsistant de son activité ici.

Autres occupants de ce territoire : des gardes forestiers. Trois couples d’européens vivent au « village », attendant notre arrivée avec impatience. Leurs logements, rustiques mais très corrects, ont été transformés en mini-forteresse, portes et volets blindés et tous les accès protégés par des barbelés. Nous aurons maintenant parmi nous des fonctionnaires, avec lesquels nous vivrons en bonne entente. Avec eux, nous découvrirons toute la diversité de ces résidents « pieds noirs » ou français de métropole, égarés dans ce bourbier algérien.


Dans un premier temps, nous plantons notre tente sur le terrain du responsable des gardes forestiers, à proximité de sa modeste habitation. Nous occuperons le garage attenant, pour installer notre standard téléphonique, le couchage du préposé et le matériel de transmission.
Ce couple d’Alsaciens nous a longtemps semblé insolite et mystérieux ! Compliquées, les relations avec eux ! Lui, sans doute méfiant vis-à-vis de nous, les militaires frivoles et privés de femmes…et c’est vrai que la sienne nous parait belle… La quarantaine, elle a beaucoup d’allure. Elle vit enfermée chez elle… Est-ce un choix ? Elle me laissera l’impression d’une femme déprimée, à laquelle on impose une vie impossible. Le jeune fils d’une dizaine d’années rentre de l’école le week-end, quand cela est possible. J’imagine bien la difficulté de leur situation : Monsieur gardant son épouse et gardant aussi son rang hiérarchique vis-à-vis de collègues auxquels il a peu de tâches à confier. Pour combien de temps ainsi? C’est aussi la question que nous nous posons par rapport à notre action de « pacification »

Le deuxième couple de garde forestier, métropolitains également est très réservé, ne se liant que peu avec nous. Il ne nous permettra pas de faire connaissance..

Nos rapports avec la troisième famille de garde sont plus simples et plus agréables. « Pieds noirs » de souche, ils ont le gros avantage de bien connaître le terrain, les indigènes et surtout leur langue. Petit côté sympa, leur exubérance et leur accent qui me rappellent beaucoup les gens du sud de la France.



Des bâtiments préfabriqués ont depuis peu remplacé notre inconfortable guitoune. Nous sommes proches du logement de ces gens. Ceci nous vaut de nombreuses visites de monsieur. Avec lui, nous partageons quelques longues soirées autour d’une table de jeu de tarot ou tout simplement autour d’une « bibine»
Pourtant, nous avons peu de choses en commun, sinon ce conflit interminable dont nous parlons peu et pour lequel il n’est fait aucun pronostic. Peut-il en être autrement ? On se voit souvent dans la journée, promenant son compagnon à quatre pattes dans le camp, et engageant facilement la conversation.




Philippe, son fils, une dizaine d’années, la verve d’un gamin de cet âge, nous accompagne dans nos moments de repos, voire de travail. Il est à l’école à la ville lui aussi, et ne rentre que le week-end ou aux vacances. Mais alors, quelle présence ! L’insouciance de son âge, le fossé qui nous sépare tant par l’âge, que le vécu ou nos préoccupations, fait que souvent nous souhaiterions le voir à cent lieues… Mais nous maîtrisons bien nos rapports avec lui, quelques explications, une partie de ballon quand c’est possible, et tout rentre dans l’ordre


Aujourd’hui, je me demande ce qu’est devenu ce gamin, témoin de tant de violences et de
s souffrances. Comment a-t-il vécu l’indépendance ?

Que sont devenus aussi tous ces enfants arabes que nous côtoyions chaque jour ? Me revient l’image de ces deux enfants adorables dans leurs hardes, venant la plupart du temps pieds nus, nous proposer des œufs pour quelques centimes afin d’améliorer notre ordinaire. Leur grand frère, Ahmed, copain de Philippe, bien que plus âgé, accompagne souvent celui-ci lors de ses visites. Ce garçon, illettré comme il se doit, l’école du village ayant mis la clef sous la porte, offre ses services aux gardes forestiers : une lessive par ci, un peu de ménage par là, toujours aimable et discret. Notre ami « Macarel » lui propose un jour de lui laver son linge n’ayant pas le temps de le faire lui-même. Il lui offre 5 francs pour ce travail. C’ est alors qu’a notre grande surprise on apprend qu’il n’a pour tout salaire que 20 francs mensuels… Ce sera pour ce jeune arabe l’occasion de demander sa première augmentation de salaire et de prendre conscience des bienfaits de la colonisation !!! !

Aura- t il pu échapper, lui, au carnage qui a suivi l’indépendance ?

Ah ! Les « bambinos », comme chante DALIDA, il n’en manque pas dans le village de regroupement tout proche. Nous aimons aller les rencontrer et je crois que le plaisir est réciproque.




De temps à autre, nous allons donc dans ce fameux village de misère acheter œufs, poulet ou autres pour améliorer l’ordinaire, le marchandage se faisant en toute simplicité. Parfois, nous nous faisons accompagner de Philippe ou de son père, cela simplifie les traductions.

Pourtant, un jour, un des nôtres, « appelé » comme nous, s’y rend avec d’autres intentions. Le manque de femmes le taraude depuis longtemps. Le bordel militaire à sa disposition en ville ne lui suffit pas, ou ne lui convient pas. On ne sait ce qu’il fit au village, mais ce fut certainement grave, et cela nous vaut à chacun un passage devant le père de la victime et nos officiers. Le coupable de cet acte odieux est vite démasqué. On le « coffre » comme il se doit, et il disparaît de notre communauté. C’est bien ainsi ! Nous n’aurions plus supporté sa présence parmi nous. Jamais nous n’avons encore connu pareil méfait, la honte et la révolte nous gagnent pour quelques jours. Faut-il encore ajouter de la souffrance à celle de ces pauvres gens ? Cela compliquera nos rapports avec eux, nous n’osons plus aller au village.

Quelques temps plus tard, une famille arabe est assassinée dans un douar environnant. Un témoignage faisant état de la présence d’un soldat français très blond sur les lieux du drame, on trouve très vite « le coupable ». Il y a en effet parmi nous un camarade qui répond à ce signalement succinct. On l’arrête, on l’enferme plusieurs jours dans un local infect. Nous passons tous, là encore, devant le témoin caché. Le suspect y passe lui plusieurs fois, et n’est pas reconnu. On libère alors ce brave copain innocent, sont seul crime aura été d’être blond.
Cet assassinat est plus vraisemblablement l’œuvre des fellaghas, en représailles d’un acte que nous, français, ignorons. Le délateur quant à lui restera à l’ombre pour quelques temps.





Aucun commentaire: