Si tu donnes
à un individu un fusil, tu lui donnes ainsi la possibilité, sinon le droit de
tuer. Dans ma naïveté originelle, je pensais que cette arme qu’on m’avait
donnée pouvait éventuellement servir à me défendre, à me protéger d’un
agresseur. Voilà donc que je découvre que cela pourrait aussi me donner le
droit de contraindre, de terroriser et d’abuser de mon pouvoir sur autrui. Cet
abus de pouvoir est contraire aux valeurs que l’on ma données lors de mon
éducation. Que je puisse les transgresser me semblait impossible, et cependant…
C’est une matinée ordinaire qui
aurait pu être occupée comme tant d’autres aux tâches habituelles, sans grande
importance.
Eh bien, non ! Nous voilà
embarqués en urgence dans les camions
et les jeeps. Un renseignement « obtenu par les spécialistes »
signale la présence dans un douar proche d’une bande de fellaghas. Arrivés
cette nuit, ils doivent s’y reposer la journée et repartir la nuit prochaine.
Ce petit douar d’une dizaine de
gourbis est à deux pas de ce qui reste des ruines de l’ancien village où naquit
et vécut l’émir ABDEL KADER. (tout un symbole.)[1] Il
n’y reste apparemment que les enfants, les femmes et quelques vieillards, des
« chibanis[2] » comme on les
appelle ici avec un certain respect.
Sans autre forme de politesse,
nous commençons par cerner le douar et l’envahir. C’est bien sûr l’effet de
surprise qui domine, quoi que ?…La poussière soulevée par nos véhicules et
les « choufs[3] » ont bien dû
signaler notre arrivée. Ceci explique vraisemblablement la disparition de la
plupart des individus mâles, de ceux qui portent les armes, et toute trace de
leur éventuelle présence.
Tous les gourbis vont être
fouillés, au grand dam des habitants et des poules, chiens, chèvres et autres
animaux. Rien, aucun indice, c’est la déception !
Les renseignements obtenus il est vrai lors
d’interrogatoires souvent « virils » sont peu fiables : Ne dit
on pas n’importe quoi pour abréger ses souffrances ?
Les consignes en tous cas sont
très strictes : aucun acte répréhensible de notre part, comme cela a pu
être le cas ailleurs, lors d’opérations de ce genre.
« On rassemble les vieux,
et on les embarque. On va les interroger. » dit l’officier qui nous
commande. C’est alors que tel un troupeau ridicule et avec peu d’égards, on les
rassemble pour les diriger vers les camions. Passant près de moi, l’un d’eux va
manifester le désir de retourner chez
lui chercher quelque chose qu’il semble avoir oublié. Il en fait part à son
voisin, il est prêt à passer à l’acte. Veut-il fuir ?
A l’évidence non ! C’est alors que j’ai
ce geste stupide de lui montrer mon arme, lui faisant signe de suivre les
autres. Il obtempère et s’éloigne il sera hissé dans le camion sans autre forme
de résistance. Pour combien de temps va-t-il être retenu hors de son village,
loin des siens? Quel sort sera le sien face à l’arbitraire qui règne?
Pauvre « chibani » qui n’aspire certainement qu’à vivre en paix…
Voilà donc que tu as pu
exprimer ta force ridicule vis-à-vis de ce vieux sans défense. Mais
pourquoi ? Ce n’est pas un comportement qui t’es habituel! J’ai honte de moi… L’avenir va se charger de
me montrer que la peur et la violence peuvent très bien changer de camp
rapidement et sans sommations.
Dans quelques années, les
Français seront renvoyés à la
« maison » ils embarqueront à leur tour dans les camions et les
bateaux…
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