mercredi 26 mars 2008

VIOLENCES ORDINAIRES


Si tu donnes à un individu un fusil, tu lui donnes ainsi la possibilité, sinon le droit de tuer. Dans ma naïveté originelle, je pensais que cette arme qu’on m’avait donnée pouvait éventuellement servir à me défendre, à me protéger d’un agresseur. Voilà donc que je découvre que cela pourrait aussi me donner le droit de contraindre, de terroriser et d’abuser de mon pouvoir sur autrui. Cet abus de pouvoir est contraire aux valeurs que l’on ma données lors de mon éducation. Que je puisse les transgresser me semblait impossible, et cependant…


C’est une matinée ordinaire qui aurait pu être occupée comme tant d’autres aux tâches habituelles, sans grande importance.

Eh bien, non ! Nous voilà embarqués en urgence dans les        camions et les jeeps. Un renseignement « obtenu par les  spécialistes » signale la présence dans un douar proche d’une bande de fellaghas. Arrivés cette nuit, ils doivent s’y reposer la journée et repartir la nuit prochaine. 

Ce petit douar d’une dizaine de gourbis est à deux pas de ce qui reste des ruines de l’ancien village où naquit et vécut l’émir ABDEL KADER. (tout un symbole.)[1] Il n’y reste apparemment que les enfants, les femmes et quelques vieillards, des « chibanis[2] » comme on les appelle ici avec un certain respect.

Sans autre forme de politesse, nous commençons par cerner le douar et l’envahir. C’est bien sûr l’effet de surprise qui domine, quoi que ?…La poussière soulevée par nos véhicules et les « choufs[3] » ont bien dû signaler notre arrivée. Ceci explique vraisemblablement la disparition de la plupart des individus mâles, de ceux qui portent les armes, et toute trace de leur éventuelle présence.

Tous les gourbis vont être fouillés, au grand dam des habitants et des poules, chiens, chèvres et autres animaux. Rien, aucun indice, c’est la déception !
 Les renseignements obtenus il est vrai lors d’interrogatoires souvent « virils » sont peu fiables : Ne dit on pas n’importe quoi pour abréger ses souffrances ?

Les consignes en tous cas sont très strictes : aucun acte répréhensible de notre part, comme cela a pu être le cas ailleurs, lors d’opérations de ce genre.

« On rassemble les vieux, et on les embarque. On va les interroger. » dit l’officier qui nous commande. C’est alors que tel un troupeau ridicule et avec peu d’égards, on les rassemble pour les diriger vers les camions. Passant près de moi, l’un d’eux va manifester le désir  de retourner chez lui chercher quelque chose qu’il semble avoir oublié. Il en fait part à son voisin, il est prêt à passer à l’acte. Veut-il fuir ?

 A l’évidence non ! C’est alors que j’ai ce geste stupide de lui montrer mon arme, lui faisant signe de suivre les autres. Il obtempère et s’éloigne il sera hissé dans le camion sans autre forme de résistance. Pour combien de temps va-t-il être retenu hors de son village, loin des siens? Quel sort sera le sien face à l’arbitraire qui règne? Pauvre « chibani » qui n’aspire certainement qu’à vivre en paix…

Voilà donc que tu as pu exprimer  ta force ridicule vis-à-vis de ce vieux sans défense. Mais pourquoi ? Ce n’est pas un comportement qui t’es habituel!  J’ai honte de moi… L’avenir va se charger de me montrer que la peur et la violence peuvent très bien changer de camp rapidement et sans sommations.

Dans quelques années, les Français seront  renvoyés à la « maison » ils embarqueront à leur tour dans les camions et les bateaux



[1] : né en 1808 près de MASCARA, c’est lui qui après une tentative de négociation, organise la résistance aux français au nom de la guerre sainte ( déjà le Jihad ).

[2] Vieux sage.

[3] Guetteurs

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