jeudi 27 mars 2008

PROLONGATIONS

Août 1958, je joue les grandes prolongations depuis bientôt deux mois. C’est aussi le 26éme mois que je porte l’uniforme. Je ne vois pas le bout du tunnel. Physiquement et moralement, la fatigue se fait sentir. Une série de furoncles en est le signe sensible. Soignés très sommairement, je m’en défais avec peine. Cela ne m’inquiète pas outre mesure, je ne suis d’ailleurs pas exempté de service pour autant. L’infirmier qui doit me faire une prise de sang pour me le re- injecter ensuite me dit : je n’arrive pas à te piquer la veine, ne le dis surtout pas au toubib. C’est bon! on arrête là, tout restera en l’état. J’aurais le bras un peu noir et pour le toubib la preuve des soins si besoin était…

Autre chose me préoccupe davantage : j’ai de plus en plus de mal à mettre des chaussures : des mycoses envahissent la plante du pied droit. C’est à vif et encore là soigné avec les moyens du bord. Je redoute les séances de soins journaliers à l’infirmerie quand il faut enlever le bandage.
« Finalement, un petit séjour d’une semaine en repos à MOSTAGANEM te ferait du bien me dit le toubib. Profites en, depuis le temps que tu es là, tu ne l’as pas volé ! »


Cette semaine fut agréable, sans service contraignant, en ville de surcroît. Les petits malaises vont se dissiper rapidement. Le moral est beau comme cette si bleu que je contemple si souvent en rêvant de l’autre rive si lointaine.

De retour en fin d’après-midi à Mascara, je rejoins le point de départ du convoi de liaison pour notre « résidence… » Bizarre, le groupe des chauffeurs ! On dirait qu’ils sortent d’un enterrement, ils semblent si tristes.

« Tu as appris la nouvelle ? » me dit le premier en sortant de sa Jeep. Quelle est donc cette nouvelle qui semble les marquer ainsi ?
« Eh bien, le lieutenant B… l’adjudant A… et Robert R. ont sauté hier sur une mine. Ils sont morts tous les trois. »

Je reste muet le temps de digérer l’information. Comment a-t-on pu prendre un tel risque pour perdre en même temps notre responsable des transmissions, son adjoint et un copain que nous aimions tous.
C’est ce brave lieutenant B., un officier appelé, qui avait tant souffert pour m’annoncer le décès de mon père.

L’adjudant A…, quant à lui, était arrivé depuis peu d ‘Allemagne, au retour d’Indochine il avait confié à Claude qu’il redoutait moins les balles que les mines ….Curieux pressentiment !
Robert, lui, va nous laisser un grand vide. Il faisait partie de notre environnement. Sa truculence, sa gentillesse et son courrier journalier nous étaient si familiers !


*************


J’appréhende le terme de la route qui va nous mener sur le lieu de vie qui nous a été commun. Mais je sais malgré tout que nous allons un peu plus nous serrer les coudes. Je mesure aussi la chance qui est la mienne. J’aurais très bien pu être à la place de Robert si je n’avais eu cette semaine de vacances.

Nos interrogations quand même teintées de rancœur persistent. Cette opération, montée à la hâte sur renseignements, aurait mérité davantage de préparation. Quelques vérifications avant de se lancer dans ce qui ressemblait à un guet-apens, auraient été nécessaires C’est probablement « l’indicateur » qui les a dirigés sur cette route meurtrière.

Pour nous, l’officier responsable de la sortie a eu beaucoup de chance. Son véhicule est passé sur la mine sans qu’elle n’explose. Il nous est apparu comme bien imprudent, voire incompétent, et sans l’expérience suffisante. Nous lui en avons beaucoup voulu, à lui, le chef et le rescapé.

Je me souviens qu’en ce début d’année 58, je me trouvais comme opérateur radio avec lui. Nous avions été appelés en renfort. Une opération avait été montée pour retrouver une bande de fellaghas. Une section venait de tomber dans une embuscade. Un camarade devait y laisser sa vie. Isolé, il avait perdu le contact avec son groupe tirant toutes ses cartouches avant de mourir.
Nous avions donc pendant une journée, ratissé un terrain difficile, truffé de caches souterraines pouvant abriter de la nourriture ou des armes. C’est ainsi que je me suis retrouvé avec cet officier, assez loin derrière le reste du groupe, et devant l’accompagner à l’entrée de certaines de ces caches. Elles auraient très bien pu abriter quelques tireurs isolés. Quelle inconscience !
Rien ne se passa, mais il fallut lui faire comprendre la situation et rejoindre le groupe au plus vite.
Ainsi donc, nous abordons le mois de septembre dans la tristesse, l’attente des nouvelles sur notre statut. Tous ces disparus nous font ressentir la précarité dans laquelle nous nous trouvons.

Le deuil de Robert n’est pas fait. C’est bien là une préoccupation absente dans cette armée aux ordres d’un général glorieux, installé depuis peu à la tête d’un pays qui va mal.

Il se fera, ce deuil, quelques jours après le drame : une « boîte spéciale » nous a été remise pour y déposer les affaires personnelles du disparu. Avec un copain, nous avons eu beaucoup de peine pour les rassembler.

« Charge-toi du courrier », me dit-il. Sachant sa correspondance amoureuse très suivie, par discrétion, il ne pouvait le faire lui-même.
C’est ainsi qu’avec une grande émotion, je rassemblais les lettres en question. Ce paquet, bien emballé et ficelé, prit place dans la boîte. Les lettres de « la petite », comme il disait, sont retournées à « la petite » en guise d’adieu.
Quel parent pourrait ouvrir un tel colis sans sombrer dans un immense chagrin ? Absurdité que la disparition d’un garçon de vingt-deux ans. Mort pour cette France en lutte pour une cause qui nous semble de plus en plus incertaine ? On recouvrira son cercueil d’un drapeau tricolore sur lequel sera déposée une médaille…à son retour en France.
Je suis révolté, inquiet pour l’avenir !

2 commentaires:

Anonyme a dit…
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Anonyme a dit…

Bonjour, je n'ai pas tout lu. J'ai arrêté à "la petite manivelle" et à "plus tu tournes vite". Vous n'avez jamais vu de GN58. En tout cas vous n'en avez jamais utilisé une. Celà se voit. Dès lores, le reste... S'agissant de la torture, elle avait été plus "tolérée", bien que dénoncée, par le gouvernement socialiste de l'époque. Amicalement - Jodel Henri.