jeudi 20 mars 2008

MISES A MORT

Ses camarades atterrés viennent de le descendre de la JEEP. Il est maintenant étendu sur la table de soins de l’infirmerie une balle dans la tête. Le toubib est près de lui et va lui donner les premiers soins.
Figé devant la fenêtre grande ouverte, je suis fasciné par la vision de ce grand gaillard que la vie est en train de quitter.

L’absurdité de l’événement nous angoisse, spectateurs impuissants que nous sommes. Ce qui s’est passé, nous l’avons appris par radio quelques instants auparavant. Un tireur isolé a pris pour cible ce soldat qui exceptionnellement occupe la place du capitaine dans la voiture ; C’est celui-ci qui conduit le véhicule à sa place, pour le plaisir… Cruel destin ! Ce capitaine devait mourir expiant sans doute ainsi, certains actes commis contre les « rebelles »Il est vrai qu’il n’est pas tendre mais cependant réglo…

Ces liaisons régulières sont dangereuses ! Leur répétitivité émousse très certainement notre vigilance face à tous les pièges possibles.

Cette mort plus que certaine, ressemble bien à une mise a mort.






On descend le condamné de la voiture tant bien que mal. Soutenu par deux soldats, il est conduit vers le poteau d’exécution. On lui bande les yeux, on lui lie les mains derrière le dos. Il est disponible pour cette mort certaine et brutale… Le cérémonial peut se dérouler suivant la règle prévue pour cette macabre mise à mort.



Pour l’occasion, tous les habitants du secteur, ainsi que les harkis, nos prisonniers et les voisins du village regroupé ont été « invités » au spectacle.

Je suis désigné avec d’autres camarades pour surveiller les lieux. L’événement ayant un caractère public tel un mauvais western, tout peut arriver.

Le poteau d’exécution a été planté près de l’endroit où avait eu lieu il y a quelque temps la fantasia et le méchoui. Changement d’ambiance. Le pouvoir militaire souffle le chaud et le froid. Aujourd’hui, c’est le grand froid.

« Comment vont réagir tous ces gens le moment venu ? »

Nous n’avons pas de consignes particulières. Le peloton d’exécution a été constitué de quelques camarades, on leur a sans doute dit : « Toi, toi, toi … » et voilà, le peloton est prêt. Quant à moi, on ne m’a rien demandé. Aurais-je refusé ? Etait-ce possible ? J’y repenserai plus tard avec effroi.

Le condamné, un civil est habillé, comme le sont tous les gens d’ici. Je suis assez loin, mais je distingue un homme d’une quarantaine d’années. A sa descente du véhicule tout à l’heure, il semblait très affaibli. A-t-il eu une attitude de refus ? a-t-il été interrogé de façon musclée ? Je n’ai pu voir son visage. Il est entravé, c’est le poteau qui le tient debout.
Le Commandant se présente face à lui et lui lit la sentence de mort. Ce que j’en retiens est à peu près ceci :
« Le tribunal d’ORAN(16) vous a condamné à mort pour avoir hébergé, renseigné et aidé les fellaghas. Que tous, ici présents sachent à quoi ils s’engagent pour de tels actes, et qu’ils en mesurent les conséquences.»


On lui bande les yeux. Le peloton se prépare, commandé par un jeune sous-lieutenant.

« En joue, feu ! »

Ce pauvre corps criblé de balles s’affaisse, retenu par ses liens. Image indélébile et sentiment d’injustice: la disproportion de cette peine irréversible par rapport aux fautes commises. On est passé à l’acte ,cette fois sous mes yeux : on vient de tuer un Homme au nom de l’ordre français !

C’est pour moi l’horreur cette mise à mort !!!

Le cérémonial n’est pourtant pas terminé. Il faut l’accomplir jusqu’au bout. L’officier qui a commandé le peloton s’approche, dégaine son pistolet et vise la tête du mort : le coup de grâce ; Sa main tremble, il tire, la cervelle jaillit…Geste inutile et barbare.
Toutes ces atrocités heurtent mes croyances religieuses.

Pourra-t-on de la sorte faire oublier la colonisation et rapprocher nos populations si différentes ? Cet exemple ne pourra que creuser le fossé entre nos deux communautés. Ce sang répandu à nouveau ne peut que susciter de nouvelles recrues pour le F.L.N.
Honte à ceux qui ont conçu cette mise ne scène. !!!

La tête basse, je rentre au camp avec mes camarades. Une interrogation me taraude : la balle à blanc . Y en avait-il une dans les armes utilisées pour l’exécution comme il est dit dans l’histoire populaire? Un doute subsisterait ainsi dans l’esprit de chacun des membres du peloton d’exécution. Je pose la question à un de membres de celui ci : il me regarde, surpris, semblant découvrir cette légende : cette balle qui ne tue pas et qui laisse supposer à chacun que c’est lui qui l’a tirée.

« Tu penses bien que ce sont nos munitions habituelles, il n’y a plus ici de cartouches d’exercice, tu le sais bien ! D’ailleurs, il n’a eu que ce qu’ils méritent lui et tous les fellaghas. On en a assez de retrouver des copains et des civils morts, les c…. dans la bouche ou mutilés,. Tu es un naïf, tu n’as qu’à aller voir les gars qui sont en section[17] s’ils font du sentiment. »
Un autre, de passage se met alors à me raconter avec cynisme les exactions habituelles : les interrogatoires sur le terrain, les corvées de bois, la liberté proposée contre une balle dans le dos.

Cette banalisation de la cruauté et de la violence me fait peur. Ma conscience et ma raison sont ébranlées. Je suis face à cette peine de mort qui ne m’avait jamais posé question. C’est ainsi que petit à petit je réalise toute la cruauté, et l’inutilité de cette guerre.


(16) Tribunal militaire sans doute ?

(17) Sections dont le rôle principal est de participer aux opérations « de maintien de l’ordre »sur le terrain.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Un tribunal militaire français ne juge que des militaires français.
( sauf pouvoir spéciaux en temps de guerre ?)
Il s'agissait donc d'un tribunal civil.
Mais à l'époque la peine d emort était la guillotine.

Conclusion: c'était un jugement inventé par l'armée et une exécution pour impressioner la population.
Hubert