jeudi 20 mars 2008

LA LIGNE


Parmi les missions qui nous sont attribuées (escortes, opérations, gardes…) il y en a une qui est primordiale, c’est le maintien en état de fonctionnement de notre ligne téléphonique PTT. Ce qui nous contraint à de fréquentes interventions

Elle est importante, cette ligne ! C’est notre principal lien avec le monde extérieur, tant civil que militaire, nous sommes si isolés dans le bled, à une trentaine de kilomètres de la ville la plus proche. Elle est l’objet de toutes les attentions de nos « amis fellaghas. » Nous soupçonnons qu’elle leur est bien utile pour quelques écoutes clandestines. Elle cependant soumise à des sabotages très fréquents : fils coupés, arrachés, pendant aux isolateurs et poteaux sciés… Dans les parties les plus difficiles à réparer, nous l’avons enterrée. Ca aurait pu être une bonne idée, n’est-ce pas ? Un fil aérien coupé, cela se voit, mais quand il est souterrain, écrasé entre des pierres, il faut parfois passer beaucoup de temps pour détecter la coupure.

Aujourd’hui, c’est une belle journée qui s’annonce, ce sera presque un plaisir de sortir. Une dizaine de copains se préparent, deux véhicules nous attendent avec le matériel nécessaire pour la réparation. D’ordinaire la coupure se fait la nuit. . Cette fois, la matinée est bien avancée et le sabotage présumé vient de se produire. On nous invite à la prudence, dans l’éventualité d’un piège. On ne sait jamais : une bande de « rebelles »de passage souhaite peut-être faire sortir le loup de sa tanière en vue d’une embuscade ou de tout autre « divertissement ».

En général, ces sorties-réparations sont plutôt appréciées: moment d’évasion sans trop de contraintes, et sans hiérarchie militaire pesante. Le boulot se fait tranquillement entre copains du contingent, un groupe en surveillance, l’autre au travail. Parfois inconscients de ce qui nous menace, nous profitons de cette sortie pour relâcher la pression : une petite « mousse » partagée sur le capot de la Jeep, quelques tirs sur d’inoffensives bestioles se trouvant dans les parages ( chacal, lapin, oiseau…)

Nous nous remplissons aussi les yeux de ces splendides paysages désertiques, d’où émergent ça et là parmi les pierrailles quelques arbres rabougris, des touffes d’alfas ou d’épineux. A l’horizon, le Djebel arrondi et pelé. Une fumée ou un cri d’animal nous rappelle qu’il y a aussi de la vie dans cette immensité, qu’elle s’intègre si bien dans le décor qu’on ne la remarque plus.

Ce jour, notre inquiétude est vite dissipée. Nous repérons la panne à proximité d’un troupeau de chèvres et de moutons. La ligne, posée à même le sol à cet endroit, a été arrachée par ces bêtes dans un passage entre deux buissons. Il est aussi possible, qu’un âne en divagation qui se signale bruyamment non loin de nous soit le coupable.

Ces braves bêtes, en ces contrées inhospitalières, sont en effet le moyen de déplacement idéal, en quelque sorte les « 4x4 » du cru. on dira plutôt des « quatre pattes ». On ne les remarque plus tellement elles ont su se camoufler. Leurs grands poils poussiéreux sont de la couleur de la terre et des pierrailles ou elles recherchent leur nourriture. L’esprit vagabond et familier, elles errent à leur gré. Pour réduire leur liberté de mouvement, les propriétaires leur lient ensemble les deux pattes avant. Ainsi entravées elles se déplacent par bonds successifs à la façon de kangourous .

Animaux dociles et robustes, on les rencontre très souvent dans les villes attelés à de petites charrettes surchargées. Dans le bled, ils tirent de rudimentaires charrues en bois, sur un sol caillouteux. Portent, dans des bidons ou des sacs attachés à leurs bâts, des réserves d’eau ou de nourriture.

Très souvent, un cavalier débonnaire sur le dos, ils trottinent dans le bled. L’équipage que nous rencontrons fréquemment nous choque et nous amuse à la fois : Monsieur très digne sur sa monture, et Madame derrière, à pied, portant parfois de lourdes charges et suivant tant bien que mal la cadence imposée. Dure réalité que la condition de la femme d’ici .Souvent « mariée »dès le jeune âge, elle vivra soumise à l’homme. Devra enfanter durant de longues années, peut être accepter une autre compagne pour monsieur si elle ne peut être mère. Sa vie de dure besogne, se déroulera au gourbi et à l’abri des regards.

Et si aujourd’hui on révisait les coutumes ???
« Vous allez rire, nous averti D…, on va faire marcher les « Mohamed »

En effet, un petit groupe de cavaliers, accompagnés de leurs fatmas, se dirige paisiblement vers nous. Revenant de faire leurs provisions, ils rentrent au douar. Comme il se doit, ces dames vont à pied et ces messieurs chevauchent leurs petites montures.

« Halte ! Contrôle papiers ! » leur annonce D… en arborant fièrement ses deux petits galons rouges de brigadier. « Tout le monde pied à terre ! ».

Nous affolons un peu inutilement ces braves indigènes, mais telle n’est pas notre intention. Il nous faut malgré tout rester très sérieux….

« C’est bon, vous pouvez partir maintenant, mais pas sur les bourricots ! »








Nous ne voulons ni contrôler les femmes, ni les faire monter sur les ânes, par crainte des plaintes qui en résulteraient, mais l’envie ne nous en manque pas. Le petit groupe, après un contrôle symbolique de leurs cartes d’identité, se remet en marche : les hommes en tête, suivis de leurs bêtes chargées des ballots des femmes. Celles-ci suivent , sensiblement allégées, il est vrai.

Au détour de la piste, hors de notre vue, il est sûr que les traditions auront repris leur droit…

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