dimanche 10 février 2008

LE QUARTERON DE GENERAUX

En effet, mon répit aura été de deux années. Juste le temps de me marier, peut-être un peu rapidement, et de faire un enfant non moins rapidement.

Un putsch se prépare à Alger : « un quarteron de généraux à la retraite » s’est emparé du pouvoir le 22 avril 1961[1]. C’est inquiétant, je suis très concerné par l’événement. Il est prévu que nos braves « léopards », qui viennent de prendre quelques points stratégiques à Alger, fassent de même en France.

A vrai dire, vu ma situation militaire, un rappel ne fait plus de doute. C’est une question d’heures. Je crains cette nouvelle mobilisation.

Mes copains militants syndicaux et cathos sont à la fois très concernés et très excités à l’idée d’en découdre avec les putschistes pour défendre la démocratie. Ils avaient raison de ne pas faire confiance aux militaires. Je ne les trouve pas du tout attentifs à mon inquiétude face à ce rappel qui se dessine et à un éventuel affrontement armé entre français. C’est habituel, il est vrai ! Depuis le début de ce conflit algérien, bien peu d’attention aura été portée aux appelés. Ce ne sera qu’une confirmation de plus du désintérêt des citoyens vis-à-vis de ceux-ci.

Voilà, c’est fait. Le vingt-quatre avril après-midi, coup de fil sur mon lieu de travail et ordre de rejoindre la gendarmerie proche de chez moi : c’est la mobilisation anti-putsch. Peut-il y avoir affrontement avec les paras ? Sans doute d’abord à Paris, dans les grandes villes ensuite.

Les gendarmes, un peu désemparés, m’accueillent gentiment, mais attendent les consignes. Que faire, dans cette petite brigade, de quatre réservistes, qu’il va falloir équiper et surtout occuper ? Pour l’heure, direction Nantes, dans le « panier à salade». C’est nouveau pour moi : caserne La Fayette, séance d’habillement cocasse. Mes collègues n’engendrent pas la mélancolie. Un petit verre dans les archives, avec notre accompagnateur, qui retrouve ses copains du lieu, et le moral revient. D’ailleurs, les nouvelles que nous avons alors sont plutôt rassurantes : les généraux seraient sur le point de se rendre.

Nous rentrons avec nos beaux treillis kaki et nos grosses « pompes ». Quelle élégance ! Je retrouve la maison très tard le soir, car il n’y a pas de logement prévu pour nous. Nous avons comme mission principale de garder l’émetteur de télévision de La Louée, à Basse-Goulaine. D’un commun accord avec notre « encadrement », il est décidé que cette garde sera assurée par mes trois collègues qui habitent à proximité. Je me demande ce que pourraient bien faire quelques réservistes et quelques gendarmes face à une invasion de paras tombant du ciel ! C’est de la fiction, mais les consignes sont là.

C’est donc plus tranquille que vers neuf heures le lendemain, je gagne la gendarmerie. J’ai l’impression, malgré tout, d’être sous le regard des habitants du quartier, quand je passe ainsi équipé sur ma mobylette. C’est dans la journée que nous apprenons avec soulagement la fin du putsch[2].
Nous sommes le 25 avril maintenant, mais il faut quand même observer la suite des évènements, tout ne va pas rentrer dans l’ordre en quelques heures…
« Que peux-tu faire de toutes ces journées ? » me demandent mes collègues de travail au téléphone. C’est vrai que c’est une grave question. Alors voilà : il n’y a pas de pendule pointeuse, mais l’embauche se fait vers huit heures. Le travail est varié : aller chercher le courrier à la poste le matin, et le porter le soir vers 17 heures. Lecture des journaux à titre informatif « pour les besoins du service », parfois retourner des enveloppes usagées et les recoller pour une deuxième utilisation, c’est par souci économique, par rapport au budget de la Défense auquel nous sommes rattachés. Certains jours, avec un gendarme « pro », nous partons sur nos mobylettes porter à domicile des fascicules militaires chez les particuliers. Parfois affolées à la vue d’un gendarme en képi et d’un autre « dépareillé », habillé lui en kaki, certaines épouses paniquent en nous ouvrant leur porte. Mon collègue ménage son effet de surprise et bombe un peu plus le torse avant de les rassurer.
Resteront inoubliables les petits casse-croûtes du matin, ou les pauses de l’après-midi devant un petit verre dans la cave de l’un ou de l’autre. Le climat est bon enfant maintenant que les inquiétudes se sont dissipées.
Ce n’est que le deux mai qu’enfin on va me libérer pour une dernière quille. Mais, oubli impensable, je n’ai pas eu de visite médicale d’incorporation. Convoqué quelques jours plus tard à cet effet, je suis réformé un an plus tard.
Les évènements sont terminés en Algérie et le besoin de réservistes se fera moins pressant.
C’est la fin de ma carrière militaire.


[1] Les généraux Challe, Jouhaud, Zeller, rejoints par Salan, ancien commandant en chef en Algérie.
[2] Le 25 avril, le putsch échoue. L’armée d’Algérie est divisée et les appelés ne suivent pas les généraux. Challe et Zeller se rendent, Salan et Jouhaud entrent dans la clandestinité ( O.A.S.)

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